EXPOSITION
Isaac Celnikier, peintre et graveur
L'un des plus grands artistes de notre temps est pour la première fois exposé en France : au Majorat et à Toulouse, au musée des Augustins. Jusqu'au 18 mai.
Plus d'une centaine d'huiles d'un côté, autant d'aquarelles, dessins et gravures de l'autre, c'est une part considérable de l'œuvre immense d'Isaac Celnikier que s'offre la région toulousaine. Et ce, grâce à une double initiative : celle du musée des Augustins à Toulouse, et du Majorat à Villeneuve-Tolosane.
Né en 1923 en Pologne, habitant actuellement Paris, Isaac Celnikier est peu connu du grand public, tout au moins en France, mais suivi depuis longtemps, par plusieurs grands collectionneurs internationaux. Et si ses œuvres ont déjà été présentées, notamment en Norvège et en Israël, cette exposition (jusqu'au 18 mai), en deux lieux de la Haute-Garonne, est une première nationale : elle signe, en quelque sorte, sa reconnaissance, on peut même dire sa découverte, par le pays dans lequel il vit.
L'événement est d'importance : Isaac Celnikier est, assurément l'un des plus grands artistes, à la fois peintre et graveur, de notre temps.
Gravures et aquarelles
A Villeneuve-Tolosane, est accroché son œuvre graphique. Utilisant les différentes techniques (burin, pointe sèche, eau-forte…), Isaac Celnikier a gravé l'horreur que l'histoire a inscrite dans sa chair même : celle des camps, nazis d'abord, staliniens ensuite. Vision cauchemardesque de ces fresques, à la fois danse macabre et chemin de croix, présence de ces personnages, concentrée dans leur défiguration, vérité de la souffrance rendue par la richesse extraordinaire du trait. Ces œuvres, par leur composition, placent Celnikier dans la lignée aussi bien de Rembrandt que de Goya.
Peintures à l'huile
Toujours au Majorat, crayon et fusain captent l'intimité du visage ou du corps, tandis que l'aquarelle dévoile des paysages d'arbres et de montagnes. Croquis de voyage, instaurés, ces œuvres jouent librement de la couleur : lavis surprenants, camaïeux de tons foncés, soudain éclairés par un rose ou un vert. Celnikier est aussi un grand coloriste, comme le confirment les toiles exposées au musée des Augustins : dans la chapelle, les œuvres puissantes et poignantes de la mémoire, dans la salle du premier étage, les natures mortes, paysages, nus et maternités, et surtout les portraits, ces superbes portraits de femmes.
Dans une atmosphère généralement sombre, les couleurs surgissent, flamme soudaine, et la matière, travaillée dans son épaisseur, s'anime et s'illumine. L'inspiration de l'artiste se révèle pleinement dans cette palette, chatoyante et subtile, dans le mouvement qui parcourt ses paysages, dans la proximité de ces objets ou de ces corps, dont la chair se fait sculpture, et dans la plénitude d'être de ces visages. Cette force est celle d'une manière expressionniste qui rassemble l'essentiel dans la bouche ou les yeux, mais qui donne à voir une réalité autre, intérieure et plus mystérieuse. Il y a quelque chose de l'icône dans ces visages incarnés, plus que représentés, qui transfigurent la matière.
Page 19 MARDI 2 AVRIL 1991 La Dépêche du Midi VILLEUNEUVE-TOLOSANE